Olafur Eliasson, Din blind passager, 2011
Olafur Eliasson, artiste danois né en 1967, met en évidence des phénomènes naturels qu’il reconstitue à l’intérieur de bâtiments et les donne à expérimenter aux visiteurs. Il développe ainsi une forme de Land Art, centrée sur des sensations « immatérielles », dans la mesure où le support de l’expérience n’est constitué d’aucun objet solide ou durable.
L’exposition intitulée Utopia à l’Arken Museum au Danemark (2011) comprenait un long tunnel en contreplaqué pour l’œuvre Din blind passager. « Aux choses mêmes ! » ordonnait Husserl. L’artiste semble avoir entendu la consigne du phénoménologue. Les a priori matériels de l’œuvre d’Eliasson sont constitués par l’étendue de la couleur orangée, la limitation spatiale du lieu et l’opacité d’un brouillard artificiel. Le tunnel d’Eliasson est une œuvre à voir mais aussi une œuvre à traverser et à éprouver tant le déplacement se fait avec difficulté. L’expérience, au sens d’Husserl, est toujours l’expérience de ceci ou de cela, il s’agit d’une intentionnalité. L’intentionnalité de l’artiste est ici contenue dans la notion de temporalité. Ainsi, l’artiste nous invite à faire l’expérience du temps en entravant notre vision. L’absence de visibilité freine nos possibilités motrices, le « maintenant » se prolonge et le « juste-après » est une victoire sur l’espace évanescent. L’œuvre d’Eliasson devient un défi proprioceptif. Le temps, au lieu de demeurer une équation mathématique extérieure à l’homme, est naturalisé, incarné et devient un temps humain relié à l’émotion esthétique. Dans un article posthume, Varela ne liait-il pas ainsi le vécu du flux temporel à l’émotion ? L’œuvre d’Eliasson permet de faire fonctionner l’hypothèse de Varela. Le visiteur qui entre dans l’installation le fait par automatisme sans se rendre compte de la complexité des mouvements qu’il accomplit (James). Il est transparent émotionnellement (sorte de neutralité qui peut être rompue à tout moment). Rendu dans le caisson en contreplaqué, il devient attentif à son environnement puisqu’il ne peut plus compter sur sa vision pour anticiper ses déplacements. Soudain, le corps d’un visiteur apparaît, venant rompre l’uniformité de l’étendue vaporeuse orangée. Ce surgissement dans le présent provoque une émotion qui relègue le maintenant à un juste-passé pour lui substituer l’événement ayant causé l’émotion.
L’artiste l’exprime ainsi : « Pour moi, Utopia est liée à notre “maintenant”, l'instant compris entre une seconde et la suivante. Il constitue un potentiel qui s'actualise et se transforme en réalité; une ouverture où des concepts comme sujet et objet, intérieur et extérieur, proximité et distance sont jetés en l'air et ne peuvent être définis à nouveau. Notre sens de l'orientation est contesté, et les coordonnées de nos espaces, collectives et personnelles, doivent être renégociées. Mensonge, mutabilité et mouvement sont au cœur d’Utopia. »
A voir par là : http://www.youtube.com/watch?v=731JRwVzbkw