La culture japonaise exige un minimum de connaissances. La société japonaise évolue au milieu de contradictions comme par exemple l’entretien de la culture traditionnelle japonaise d’une part et le basculement soudain dans la culture occidentale d’autre part. Quiconque a séjourné même brièvement au Japon peut affirmer que les Japonais jonglent quotidiennement avec ces deux identités.
Les photographies d’Araki témoignent de cet écart. Un voyage sentimental qui montrait en 1971 sa femme Yoko pendant leur voyage de noces, nue dans un lit ou en train de jouir le rendit célèbre. Depuis le décès de son épouse en 1990, Araki a photographié des lycéennes, nues ou habillées, ligotées, suspendues ou jetées à terre. Dans un entretien accordé à la chaîne Arte en 2009, Araki affirmait avoir épuisé le sujet des lycéennes et lui préférer aujourd’hui des modèles d’une quarantaine d’années.
Pour bien comprendre le phénomène Araki tel qu’il est perçu au pays du soleil levant, il faut savoir que les modèles se bousculent pour poser pour lui. Une présentatrice célèbre a ainsi posé dans un cimetière pour l’artiste et avoue dans le reportage s’être sentie « sexy ». Le bondage est une constante dans l’œuvre d’Araki. Mais malgré la soumission apparente du sujet, le photographe nippon explique qu’il ne cherche pas à contrôler le modèle mais le laisse libre d’improviser les pauses de son choix. Le jeu est beaucoup plus intéressant ainsi. Si le modèle connaît la contrainte imposée par l’artiste (le bondage) il conserve une liberté dans cette contrainte. Nous sommes donc bien dans ce que Baudrillard a appelé le « jeu » de la séduction. « Je me dérobe, tu ne me feras pas jouir, c’est moi qui te ferai jouer, et qui te déroberai ta jouissance. »
Araki est l'auteur d'un singulier " roman du je ", placé sous le signe d’une constante répétition. Mais alors que pour Freud la répétition tue le désir de l’adulte, elle a produit sur Araki l’effet inverse. Il pourrait sembler que la répétition à l’infini de la même photo sur des femmes différentes aurait dû épuiser le sujet mais l’artiste nippon n’en finit pas avec son désir de voir. Sur Araki, la lecture freudienne de la répétition ne fonctionne pas. Freud, dans Au-delà du principe de plaisir, fournit une seconde interprétation de la répétition chez l’adulte. Il pourrait s’agir selon lui d’une volonté de surmonter une peur antérieure. En répétant et revivant l’angoisse provoquée par l’objet, le sujet tente de maîtriser et reprendre le contrôle de l’événement effrayant. A notre sens, compte tenu du rapport enjoué qu’entretient Araki avec le monde, il ne peut s’agir que de surmonter Thanatos à travers Eros. Dans un entretien qu’il a accordé à Jean-Pierre Kuef, Araki confirme qu’il souhaite que l’on lise ses images comme un rapport entre les pulsions de vie et de mort. Dans Eros nous devons lire Thanatos et inversement.